“T’as une sacrée descente que j’aimerais pas remonter !” inspirée des grandes goulées avalées au comptoir du jour sans fin.
À force de me représenter, je parle de moi à la 3ème personne, histoire de dissociation entre l’artiste et la manageuse. Certains diront qu’il s’agit plutôt d’ÉGO mais j’en doute. La plupart du temps je me présente avec un “je”, vêtue d’oripeaux trempés des gouttes salées de mes yeux bleus déçus de leur invisibilité. Mon nom est au pluriel et défini comme suit : Peggy Barbara Dominique Sirieix avec 3 “i”, ayant choisi 3 pseudos nommés, Sam, BrynN et enfin Miss Peg pour revenir à l’essentiel.
La vie joue l’intermittence, le mouvement, l’impermanence.
Alors, pour contrebalancer sa tendance, il faut maintenir le cap. Ne pas tanguer trop fort, ne pas laisser aller le up and down de façon démesurée. Ne pas descendre trop bas et toujours compter sur soi avant de pouvoir compter sur toi.
Mais la question se pose, puis-je encore compter sur quoi que ce soit ?
À mon tour de jouer l’inconstance, l’impermanence, l’intermittence de mes choix.
Tu m’attends, je ne viendrai pas.
Tu me demandes, je ne suis pas là.
La fille a quelques doutes quant au reste du courage qui l’habite, aux résidus de volonté échoués après les orages. Des bouts d’elle-même demeurent et luttent pour ne pas être avalés par la marée aussi grande que l’ouragan qui balaye le monde, inverse les pôles et les positions attendues des plus têtus.
J’ai envie d’abandonner, de ne plus me répondre. Abonnée absente de ses ambitions essoufflées. Mes rêves ont une musculature bien maigre pour nager à contre-courant des attentes du futur. Eh tik, eh tok, prends-ça dans tes dents émaille diamant bien trop blanches pour avoir poussé grâce au lait de ta mère.
Comment redécoller d’un sol mouvant et vorace ?
Bon sens et démarche artistique, est-ce antinomique ? Création ou produit de consommation ? Soyons clairs, j’ai toujours écrit, composé et cela avant même de réfléchir à une étude de marché, à des niches dans lesquelles je serais censée faire rentrer mes compos enragées.
Mais alors, si mes croquettes musicales ne sont croquées que rarement, par manque de publicité matraquée à toute heure, comment pourriez-vous savoir qu’elles existent ?
La reconnaissance de mon travail me suffirait, pas besoin qu’on connaisse ma tête, ma vie, mon mec. Une notoriété déplacée et quelque peu intrusive. Problème lorsque le paraître est au premier rang de la sélection du bancable, du vendeur, de l’exploitable. Mes œuvres sont nombreuses, enregistrées dans un répertoire sacemique officiel que peu de chasseurs de tête consultent car ils n’ont pas entendu parler de moi. Elles existent tranquillement. Certaines ont dansé à l’irlandaise en costume de mini lapins déglingués et d’autres ont habillé des causes qui me tiennent à cœur. Mais, la plupart sont restées muettes, enfermées dans l’underground des musiques actuelles qui n’ont pas bénéficié de la version sponsorisée, choyée, managée, entourée, diffusée car je ne sais pas trinquer avec le business.
Avant de savoir s’accorder sur le “la” et chanter juste, il faut maîtriser le diapason de la coupe de champagne. Jouer à la blonde séductrice et savoir faire rebondir une balle de match sur ses fesses.
Mon corps s’est opposé au premier rôle de la chanteuse ensorceleuse, la Betty Boop qui allonge les regards, la Marilyn qui fait chavirer les espoirs. Me coucher tard ou coucher tout court et boire jusqu’à la signature du contrat conclu dans un grand hôtel aux robinets dorés, pas pour moi. Il était pourtant moelleux l’oreiller de ce lit king size à Lausanne. Les hauts talons ont brûlé mes pieds et mon estomac. Je n’ai pas pu ignorer bien longtemps, le calme souhaitable, la protection de mon intimité.
Piètre commerciale pour une prolifique façonneuse de croquettes musicales sans glutamate. La combinaison ne convainc pas grand monde sur la toile immense du star système car les étoiles sont bien gardées et inaccessibles aux artistes du monde d’en bas, ceux qui les conduisent dans des voitures de luxe, nettoyées au 5ème sous-sol d’un parking en rentrant de la mission alimentaire. Je ne sais pas me servir de moi de cette manière, me vendre, pulvériser les portes blindées de l’absurde protectionnisme des artistes installés ou de leurs progénitures. Je ne sais pas utiliser le plongeant de mon décolleté pour inviter à consulter ma légitimité artistique dans ce monde dont je n’ai pas les codes. Profiter d’opportunités révélées dangereuses pour un squelette émotionnel friable qui n’est pas en titane.
Que me reste-t-il alors ? Peu et beaucoup à la fois. Des refrains qu’on retient, des ponts qui s’envolent, des paroles qui racontent la musique des gens, des histoires qui s’arrangent à de multiples sauces épicées qui attisent l’appétit d’écoute. C’est pas moi qui le dit. Et tout cela en parallèle de missions et métiers à combiner avec cette trame musicale bien exigeante. Ben, ça a l’air pas mal ? Cependant, le plateau sur lequel je vous offre mon travail, mes respirations, c’est de la récup, les moyens de bâbord, sorti du tri sélectif pour trouver l’interstice où faufiler les tubes d’une inconnue. Oui, certains ont la carrure de tubes, dixit Goeff Pesche, ingénieur du son à Abbey Road, tout petit studio à Londres. Alors…
“Tout vient à point à …” tra la la la lère, c’est moi qui est à point, voire trop cuite, à force de cramer au soleil du rappel. Eh bien rappelle, harcèle, fais la grève de la faim !! Mais ma cause musicale ne justifie pas une lutte comparable à celle des droits de l’homme ou de la femme, enfin de l’être humain. Mon art a des droits certes mais ses devoirs vis à vis de l'intelligentsia du label sont au-delà de mes forces.
Ne pas lâcher… et si c’était la meilleure idée ? Pas la musique des mots bien sûr, elle est cellulaire, moléculaire, atomique, à l'intérieur de ma constitution chimique.
Non, si j’abandonnais avec classe et dignité le costume de la vendeuse médiocre ? Faire le choix de laisser tomber pour éviter de me laisser tomber à tout jamais dans l’obscurité de l’artiste presque inconnue. Et si j’avais terminé mes devoirs, rendu la copie gribouillée d’années de dos crawlé, de brasse papillon épuisante ligne d’eau n°7, lestée de tous les péchés capitaux perdus au fond de la piscine du démarchage ?
Je lâche la fine cordelette attachée à la bouée de la reconnaissance de mes arts. Elle me cisaille la main. Elle fit couler trop de sang, rougir trop de papier, de cahiers et de chansons déçues de ne pas avoir été repérées par l’hélico de la SNSMI. (Sauveteurs nihilistes du son et de la musique indépendante)
Échouée sur la plage des ritournelles artistiques désenchantées, il me faut du temps pour me réhydrater. Je suis déjà trop vieille pour le marché, alors rien ne sert de rajeunir, il vaut mieux vieillir à poing fermé. Avec lui, je serre la main du destin qui me reste. Mes pieds nus dans le sable chaud voient leurs orteils parés de paillettes dorées, à défaut de les avoir sur le visage illuminé des spotlights de l’Olymp I.A.
Merci à mes parents, qui eux, n’ont pas lâché malgré leurs blessures et leurs peurs. Ils m’ont désirée, écoutée, entendue et reconnue. Je leur dois tous mes souffles, mes sourires et mes larmes.
Je leur dois l’amour, la colère, l’extase, l’ivresse de la vie impertinente et l’humour, comme politesse du désespoir.
À bientôt mes jours à facettes et vos futurs plans extravagants.
Peggy S / Miss Peg
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